La guerre des Prépositions
LA GUERRE DES PRÉPOSITIONS
Matthew McLauchlin

Les métrophiles assidus auront peut-être remarqué quelques menus désaccords parmi les noms des stations de métro dans notre belle ville. Les plaques de nom à Université-de-Montréal manquent leurs traits d'union; celui à Assomption est doté d'une L' inattendu. Les noms imprimés sur quelques vieux plans sont du jamais-vu : du Parc, de l'Acadie, Collège, Savane, Église. Que se passe-t-il?

En bref : la grammaire. On le savait déjà – le français déborde de règles. Mais saviez-vous qu'il y a même des règles pour les noms des stations de métro ?

Qui plus est, le Québec jouit d'un organisme gouvernemental, la Commission de toponymie, dont la tâche solennelle est d'assurer que la fonction publique de la province suive ces règles. Il est ainsi qu'il y a quelques années, ses travailleurs infatigables remarquèrent que quelques noms de stations de métro à Montréal ne conformaient pas aux règles. Ils vinrent mettre un terme à cet abus, et ainsi commença la guerre des Prépositions.

Commençons au début. Un nom de lieu ou toponyme français se compose de trois éléments : le générique, un nom commun indiquant la sorte de lieu; le spécifique, un nom propre qui est effectivement le nom du lieu; et la charnière qu'il faut pour relier les deux. Cette dernière, quand elle existe, est d'habitude la préposition de (parfois à) avec ou sans un article (du, de la, des).

Le générique, étant un nom commun, ne prend pas de majuscule, tandis que le spécifique prend des majuscules et, selon l'usage canadien, des traits d'union.1

Quelques exemples :

Générique Char. Spécifique
avenue de l' Hôtel-de-Ville
lieu historique national de la Commerce-de-la-Fourrure-à-Lachine
île du Prince-Édouard
(province de l') Île-du-Prince-Édouard

On notera au dernier exemple qu'un toponyme entier (générique plus spécifique) peut devenir le spécifique d'un autre nom. Autrement dit, l'île du Prince-Édouard est une île dont le nom est « Prince-Édouard », tandis que la province de l'Île-du-Prince-Édouard est une province dont le nom est « Île-du-Prince-Édouard ».

Que signifie tout ceci ? Première leçon de métronymie : le nom entier usuel d'une station de métro est un spécifique, comme s'il était précédé par le générique « station » (aucune charnière). En tant que tel, il a besoin de traits d'union. Donc :

Générique Char. Spécifique
Université de Montréal
(station) Université-de-Montréal
place Saint-Henri
(station) Place-Saint-Henri

L'ajout des traits d'union requis s'avéra assez facile, et le Bureau de transport métropolitain (BTM) changea ses pratiques sans faire des vagues. Selon le même code de règles, il substitua pour les abréviations les mots entiers « saint » et « sainte ».

C'est par la suite que ça devient compliqué. Les noms des stations de métro ne doivent pas comporter de charnière avant le spécifique. Puisque le spécifique du nom de la rue ne comporte de charnière lui non plus, il en résulte que des noms comme Du Collège, De La Savane, L'Assomption et De L'Église sont fautifs:

Générique Char. Spécifique
Avenue de l' Église
(station) De L'Église
Boulevard de l' Assomption
(station) L'Assomption

Les charnières ne font pas partie du spécifique, donc elles ne devraient pas figurer en principe dans le nom de la station : Collège, Savane. La seule autre façon de procéder serait d'utiliser le nom entier de la rue comme spécifique, à l'instar de Place-Saint-Henri : Avenue-de-l'Église.

Cette règle mit le BTM dans l'embarras. Bien que De L'Église et Du Collège soient strictement fautifs, « Église » et « Collège » seraient tout simplement bêtes. Qui plus est, dans ces cas, les noms pourraient donner l'impression que la station est nommé pour une église ou un collège particuliers, plutôt que pour la rue. De plus, la charnière est souvent ajoutée au spécifique dans le langage commun : j'habite sur Du Parc; c'est sur Des Pins.

Que faire alors ? Le BTM s'inclina quant à une station existante — (L')Assomption — et deux stations alors projetées — (Du) Parc et (De L')Acadie. Mais il refusa de changer les noms des stations déjà existantes — Du Collège, De La Savane et De L'Église — au grand dam de certains puristes.2 Toutefois, les appellations Collège, Savane et Église se trouvent sur quelques vieux documents publiés par le BTM.

Enfin, le sort de l'une des nouvelles stations à Laval paraît indécis : (De La) Concorde. Bien que la présence de la charnière soit erronée, on dit qu'elle sera utilisée quand même — afin de minimiser toute confusion avec Guy-Concordia !

Il y a trois cas particuliers : LaSalle, D'Iberville et De Castelnau. Dans ces cas, la préposition fait partie du nom d'une personne : Robert Cavelier de La Salle, Pierre Le Moyne D'Iberville et Édouard De Curières De Castelnau. Dans ce cas la préposition s'appelle particule nobiliaire parce qu'elle indiquait autrefois la noblesse, bien qu'apparaissant aujourd'hui dans bien de noms communs. À noter aussi que LaSalle est le nom d'une (ancienne) ville, et les villes font exception à la règle des articles : La Tuque, La Malbaie, Le Havre...3

Enfin, le plus minutieux de ces détails s'illustre dans le nom de station le plus récent : Longueuil–Université-de-Sherbrooke. Quand un spécifique se compose de deux noms différents, il faut les relier par un tiret (–), plus long qu'un trait d'union.4

Il n'est donc pas complètement clair si les noms Guy-Concordia et Berri-UQAM sont bien ou mal ponctués. Ils peuvent être bons, si la règle ne s'applique qu'aux cas où l'un des éléments comporte un trait d'union. Mais si la règle s'applique à n'importe quel nom composé, ils devraient s'écrire Guy–Concordia et Berri–UQAM.

La grammaire ... on n'en échappe pas, même sous la terre !

LIEN :

La Commission de Toponymie présente tous les règlements de la toponymie au Québec. Qui plus est, en cliquant sur « Banque de noms de lieux » on accède à une base de données rechercheable, comportant quasiment tous les toponymes du Québec — villes, arrondissements, îles, régions, rivières, rues, ponts, monts, monceaux s'y trouvent. Jamais vous ne vous tromperez sur l'orthographe ou la ponctuation d'un toponyme ! Beaucoup des noms comportent d'intéressants détails historiques. Allez voir.

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NOTES :

1. On n'utilise d'habitude pas ces traits d'union en France. Ainsi les stations du métro de Paris ont des noms comme École Vétérinaire de Maisons-Alfort et Quai de la Rapée. Au Québec, ces stations seraient écrites École-Vétérinaire-de-Maisons-Alfort et Quai-de-la-Rapée. (retour)

2. Par exemple : Ramat, Aurel, Le Ramat de la typographie, 2003 ed. (Montreal: Ramat, 2003), 90. (retour)

3. À noter que les prépositions se trouvant dans les noms de personnes ne prennent pas de trait d'union : rue Jean-De La Fontaine (non *Jean-De-La-Fontaine); ruelle Nick-Auf der Maur (non *Nick-Auf-der-Maur). Cette règle n'a d'application qu'à la station De Castelnau (non *De-Castelnau). Quelques uns seront heureux de remarquer qu'une recommandation officielle de la Commission veut qu'on n'utilise pas de trait d'union entre les éléments anglais ou étrangers, par exemple Avenue McGill College, Côte du Beaver Hall, et non pas Avenue McGill-College, Côte du Beaver-Hall, parce que les traits d'union ne sont pas utilisés dans ce cas en anglais. (retour)

4. Cette situation se trouve plus souvent dans les noms de circonscriptions électorales, par exemple Lévis–Chutes-de-la-Chaudière ou l'ancienne Verdun–Saint-Henri–Saint-Paul–Pointe-Saint-Charles. Encore une fois, ceci ne se fait pas en France : les stations parisiennes de Bobigny-Pablo Picasso et Gabriel Péri-Asnières-Gennevilliers seraient Bobigny–Pablo-Picasso et Gabriel-Péri–Asnières–Gennevilliers au Québec. (retour)